Ada, d’Antoine Bello

Frank se demanda si les ravisseurs d’Ada n’avaient pas rendu un fier service à l’humanité.

AdaFrank travaille en Californie, dans la brigade chargée de retrouver les personnes disparues et de combattre le trafic d’êtres humains. Malgré sa proximité avec la Silicon Valley, c’est plutôt les domestiques philippines et les prostituées qui constituent l’essentiel de ses journées.

Jusqu’à un mercredi où un coup de téléphone de sa patronne le tire du lit : « Ada » a disparu et l’entreprise qui l’emploie veut que tous les moyens soient employés pour la retrouver.

Mais qui est Ada ?

Une intelligence artificielle, basée sur le principe de réseaux de neurones artificiels, chargée d’ingurgiter la totalité de la littérature à l’eau de rose, pour écrire des romances dépassant les 100 000 ventes. Comment un programme informatique ultrapuissant peut-il s’échapper ? Qui l’a enlevée ? Et pourquoi ?

Turing réussira peut-être à cantonner Ada dans un rôle domestique. Mais la probabilité que les AI se piquent un jour de faire notre bonheur malgré nous est selon moi loin d’être négligeable.

Et comment la lecture de la littérature peut-il donner une conscience ? Ada est-elle vivante, ou non ?

Les problématiques soulevées par ce court roman sont multiples et fascinantes. A l’image de la série Westworld (j’ai d’ailleurs imaginé Ada avec les traits de Dolores 😉 ),  Bello se pose la question de l’émergence de la conscience. Comment différencier un robot qui reproduit à la perfection le raisonnement humain, d’un être doté de conscience ?

Mais c’est aussi un roman qui s’interroge sur le mécanisme de l’écriture romanesque. Suffit-il de broder sur un trame commune à un genre littéraire pour écrire un roman ? Peut-on transformer le processus romanesque en un algorithme ? Peut-on se débarrasser du personnage de détective privé solitaire et dépressif (ouiiiiiii) ?

Le détective moderne, lui, a la cinquantaine. Divorcé ou en proie à des difficultés conjugales, il méprise sa hiérarchie, connait son secteur comme sa poche, a la nostalgie de son enfance et affiche un souverain mépris pour la paperasse.

Frank n’avait jamais réalisé qu’il ressemblait à ce point à un personnage de roman

Ceci, mes amis, est LA raison pour laquelle je ne lis plus de romans policiers.

Enfin, ce roman est, comme tous les romans d’Antoine Bello, une merveille d’écriture, fine et enlevée. Ada comme Frank sont deux personnages extrêmement attachants, à la relation riche et fascinante.

Bref, j’ai adoré !

Romain Gary : La promesse de l’aube

On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous de la documentation. Je ne dis pas qu’il faille empêcher les mères d’aimer leurs petits. Je dis simplement qu’il vaut mieux que les mères aient encore quelqu’un d’autre à aimer.

Romain Gary a eu une drôle de maman. Pas du genre maltraitante, non ; plutôt du genre qui croyait en lui, avec une foi du charbonnier, fervente et sans limite. Avec ça, difficile d’échouer dans la vie : un regard le suit en permanence « Es tu digne de tous les espoirs que j’ai mis en toi, mon fils ? Es tu ce grand artiste, cet ambassadeur, ce pair de France dont je rêve ».

Romain Gary décrit donc son enfance, réchauffée par cet espoir immense en l’avenir, la fuite éperdue de la Russie soviétique, les années passées dans un logement misérable en Pologne, puis dans un hôtel à Nice. Mais c’est le jeune adulte qui paie les châteaux en Espagne de l’enfance : comment ne pas détruire ce rêve ? Comment être digne de la confiance immense que lui porte cette mère ?

 

Alors, Romain va s’attacher à en être digne : être Victor Hugo (ou presque), sauver la France, être un homme à femme, sans que lui, jamais, ne sache réellement quels sont ses vœux et ses désirs. Et, entrelacés dans le récit de cette enfant héroïque, il nous montre qu’il a réussi à remplir les souhaits de cette noble femme.

 

Car heureusement, il y a l’humour : Romain se moque de Romain, exagère les honneurs, se vante comme un gamin, et venge surtout le gamin qu’il a été. Le second degré est omniprésent, partout, et chaque phrase semble nous fait un clin d’œil. Car, enfin, est-il possible d’être aussi vantard ? Est-il possible de faire ainsi dorer ses galons, de jouer du name-dropping de cette façon ?

Je continue cependant de m’acquitter scrupuleusement de ma promesse, au gré des rencontres avec les grands de ce monde. Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Elysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme, et j’ai même eu la joie de pouvoir annoncer plus d’une fois sur les vastes réseaux de la télévision américaine, devant des dizaines de millions de spectateurs, qu’au n°16 de la rue Grande Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny, Dieu ait son âme.*

Et puis, derrière l’humour, une autre tendresse surgit : car ce vantard, cet orgueilleux, n’est qu’un petit garçon qui amène toute sa gloire, en un bouquet, à la seule femme qui l’ait vraiment aimé.

Et une dernière citation, qui m’a émue et touchée :

Je marchais dans la neige, le long de la voie ferrée, une main dans celle de ma mère, tenant dans l’autre un pot de chambre dont je refusais de me séparer depuis Moscou et qui était devenu un ami : je m’attache très facilement.

*Et la fin de cette citation, terrible

Mais enfin, ce qui est fait est fait, et les os du petit homme, transformés à la sortie du four en savon, ont depuis longtemps servi à satisfaire les besoins de propreté des nazis.

Alias Grace, de Margaret Atwood

 

When I close my eyes I can remember every detail of that house as clear as a picture – the verandah with the flowers, the windows and the white pillars, in the bright sunlight – and I could walk every room of it blindfolded, though at that moment I had no particular feeling about it and only wanted a drink of water. It is strange to reflect that of all the people in that house, I was the only one of them left alive in six months’ time.

AliasGraceLe 23 juillet 1843, Mr Kinnear, un propriétaire terrien de la région de Toronto, et son intendante et maîtresse, Nancy Montgomery, sont assassinés. Les coupables sont rapidement arrêtés : l’homme à tout faire de la propriété, James Mc Dermott, et la bonne, Grace Marks, 16 ans, ont fuit avec les biens les plus précieux de la maison, Grace allant même jusqu’à porter les vêtements de Nancy.

McDermott est condamné à mort, et rapidement exécuté, tandis que la peine de Grace est commuée en prison à vie. Mais Grace est elle réellement coupable ? Qu’a-t-elle fait ? Et qui est elle ?

Une jeune fille naïve aux mauvaises fréquentations ? Une simple d’esprit ? Une femme rouée, une manipulatrice ayant poussé McDermott à commettre les meurtres ? Au fil de son récit et des lettres échangées, la question devient plus pressante : que nous dit-elle et que nous dit-elle pas ? qu’invente-t-elle, consciemment ou inconsciemment ? Nous dit-elle la vérité, ou l’histoire que nous voulons entendre ?

Now that I come to think of it, you were as eager as Mr Walsh is to hear about my sufferings and my hardships in life; and not only that, but you would write them down as well. I could tell when your interest was slacking, as your gaze would wander; but it gave me joy every time I managed to come up with something that would interest you.

Comme souvent avec Margaret Atwood, nous nous trouvons face à un immense roman féministe. Immense roman, car elle explore un des aspects à mon sens les plus importants de la littérature, et de toute forme de communication en règle générale : qui parle ? Comme dans Lolita, ou d’autres romans écrits d’un point de vue, il est nécessaire de lire entre les lignes, d’user de son imagination pour explorer les non-dits du récit. C’est cette interconnexion entre le récit et le lecteur qui, in fine, crée l’histoire.

Et cette question devient encore plus flagrante quand Atwood nous donne accès aux lettres écrites par les différents protagonistes : dit-on la même chose à sa mère et à son meilleur ami ? A la femme qu’on aime et à la femme qu’on quitte ?

Je suis certaine de relire ce roman, dans 10 ou 15 ans, et d’y lire une autre histoire, d’y trouver une autre Grace, transfigurée par les événements de ma propre vie (1).

Et un immense roman féministe, car l’autre question qu’explore Atwood est celle de la place des femmes dans cette société. Car si Grace est peut-être coupable, toutes les femmes sont d’abord victimes, et victimes des hommes. En regard du meurtre de Kinnear, est déposée toute une série de violences, sexuelles pour la plupart, dont les hommes, tous les hommes, sont coupables, et dont jamais ils n’assument les conséquences. De la bonne qui meurt d’avorter de l’enfant que lui a fait le fils de la maison, à l’épouse convenable quittée par son mari puis par son amant, en passant par la jeune fille de bonne famille dont toute la gaieté et la joie de vivre s’éteignent sitôt mariée, il n’y a pas une femme qui échappe à cette loi. Et il n’y qu’un homme, le vagabond Jeremiah, qui semble s’exonérer de ces crimes commis tantôt par l’ex-soldat soudard, tantôt par l’avocat bien sous tous rapports, tantôt par le gentil médecin. Car, comme le dit la mère de Simon Jordan :

Men, by nature and the decree of Providence, have a certain latitude allowed them ; but fidelity to the marriage vow is surely a chief requirement in a woman.

Et le dernier point qui transforme cette lecture passionnante en plaisir : l’écriture de Margaret Atwood, sensuelle : on voit les pâquerettes, on sent l’humidité de la cave, la rugosité de la chemise de nuit de la prison, ou l’épaisseur moite des nuits d’amour.

 

(1) Aujourd’hui, si vous voulez mon avis, Grace est une immense manipulatrice, une femme d’une intelligence redoutable, et qui cache magnifiquement son jeu. Une actrice de première catégorie.

Bientôt trois ans

Bientôt trois ans que je n’ai pas écris sur un blog. Bientôt trois ans que j’ai laissé cet espace en plan (même s’il était là pour ça), où j’ai cessé de conserver un souvenir écrit de mes lectures, et surtout où j’ai arrêté d’échanger avec vous, quelques lecteurs et lectrices qui m’aviez suivis ici.

Cela me manque.

PAL

Grâce au Père Noël, ma PAL s’est récemment enrichie #bonheur #gourmandise

Je lis toujours autant, j’échange sur mes lectures avec mes proches, mais je n’ai plus l’écriture, le fait de déposer les émotions qu’un roman ou un film a fait surgir, le fait de les partager avec d’autres passionnées.

Les raisons qui m’ont poussée à arrêter ne sont pas réglées pour autant : j’aurais toujours l’impression de voler du temps à ma famille, aux mille et un devoirs de la maison, à mon travail (après tout, si j’ai le temps et l’énergie d’écrire un post de blog, j’aurais aussi celui de travailler). Un temps purement pour moi, sans pression ni regret ?

Je n’ai pas fait de résolutions de nouvelle année : j’essaie déjà de tenir celles de Septembre. Mais ce regret me prend, près de 15 jours après la nouvelle année : et si je redonnais vie à cet espace ?

Peaky Blinders, Saison 1

PeakyAffiche2Angleterre, Birmingham, une ville industrielle, au lendemain de la Première Guerre Mondiale. Les Peaky Blinders, un gang dirigés par les trois frères de la famille Shelby, organisent des paris truqués et traînent dans différentes affaires criminelles.Il y a Arthur l’aîné, le chef nominal de la famille, John, le plus jeune, et surtout Tommy le mutique, au charisme entraînant, entouré d’un voile de mystère. Et les femmes de la famille, d’un caractère fort elles aussi : Ada et son amoureux communiste et Aunt Polly, qui a géré le gang d’une main de fer pendant que les hommes étaient à la guerre.

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Tommy Shelby, le héros tourmenté de Peaky Blinders

La bande de Tommy a, lors d’un vol, accidentellement récupéré des armes de guerre au lieu des paquets de cigarette et des bouteilles d’alcools auxquels ils s’attendaient. Le gouvernement anglais, et principalement Churchill, est très anxieux à l’idée que ces armes tombent dans de mauvaises mains : des communistes, par exemple, ou l’IRA. Un inspecteur est envoyé sur place pour récupérer les pistolets et accessoirement mettre de l’ordre dans Birmingham et il dépêche Grace, une jeune fille de bonne famille, comme espionne.

Voilà, mes amis, une série magnifique dont le seul défaut est d’être trop courte (heureusement qu’il y a encore la saison 2 à voir !). Tout, du scénario à la photographie, des acteurs à la bande son, en est parfait.

4119329-low_res-peaky-blinders-620x335Dès les premières images, les notes de Red Right Hand, de Nick Cave et la vision d’un cheval sombre, s’avançant hors de la brume, monté par un cavalier stoïque donnent l’idée : cette série est un putain de chef d’œuvre. La mise est scène est extrêmement soignée, créant des tableaux animés, des moments qui semblent s’éterniser dans l’instant jusqu’à l’action, brutale et violente. Il y a un côté presque baroque dans ces images très léchées, ces hommes souls, ce sang qui gicle, ces corps qui tombent, et le regard bleu glacier de Tommy, accompagnés d’une musique contemporaine, rock jusqu’au bout des ongles, désespérée et noire.

Car l’âme de ces hommes est noire : le souvenir de la guerre les rend fous, tous. Et rend encore plus fous ceux qui n’y étaient pas et auront, jusqu’à la fin de leur vie, à se justifier d’avoir été planqué. Mais pire sont les souvenirs de ceux qui y ont été, qui ont vécu dans l’angoisse de mourir, ici, dans la boue et le froid ; dans l’angoisse de voir survenir les boches ; dans la folie de la mort et du meurtre.

Comment continuer à vivre, à jouir, à aimer, après avoir vécu aux Enfers pendant 4 ans ? Quelle valeur accorder à la vie humaine ? Ces hommes ont acquis dans les tranchées la pureté et la noirceur d’Anges de la Mort.

Et putain que c’est beau.

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The ocean at the end of the lane, de Neil Gaiman

Ocean_at_the_End_of_the_Lane_US_CoverA la faveur d’un enterrement, le narrateur revient dans le village où il a passé son enfance. En suivant le petit chemin qui longe son ancienne maison, il retrouve ses souvenirs, la première fille qu’il a embrassé et enfin, lorsque le chemin n’est plus qu’une trace à peine visible, la ferme des Hempstock et la mare derrière la maison, celle que son amie Lettie disait être un océan.

« I’m going to tell you something important. Grown-ups don’t look like grown-up on the inside either. Outside, they’re big and thoughless and they always know what they are doing. Inside, they look just like they always have. Like they did when they were your age. The truth is, there aren’t any grown-ups. Not one, in the whole wide world. » She thought for a moment. Then, she smiled « Except for Granny, of course. »

Comment vous dire à quel point ce livre est un chef d’œuvre sans trop en dévoiler ? Comment vous donner une envie irrépressible de le lire, sans vous gâcher le plaisir de le découvrir, de sombrer dans cet océan sans savoir où on va ? Comment vous dire que ce livre est un concentré d’enfance, de l’enfance qui rêve et voit des mondes meilleurs et fantastiques et qui craint les vilaines fées ? Ou plutôt, un concentré du souvenir d’enfance, où étincellent les étés caniculaires, les jeux, le goût du lait à peine tiré et du gâteau encore tiède ? Une ode aux contes de fées, les vrais, ceux où les sœurs de Cendrillon se coupent le talon et où les marâtres sont vraiment cruelles ?

« How old are you, really ? » I asked
« Eleven. »
I thought for a bit. Then, I asked « How long have you been eleven for ? »
She smiled at me.

J’ai dévoré ce livre en deux petites heures et depuis, il m’habite comme peu de livres sont capables de le faire. Neil Gaiman m’a volé un peu de mon âme et l’a plongée dans l’océan.

Dr Thorne, d’Anthony Trollope

Thorne.jpgMarie Thorne est une cousine des Thorne d’Ullathorne, ce vieux garçon et cette vieille fille adorables que l’on croise lors d’une fête mémorable dans Barchester Towers. Elle est la nièce du Dr. Thorne, d’une branche cadette de la prestigieuse famille du Barsetshire, qui l’élève comme sa fille. A ce titre, elle fréquente le meilleur monde et est reçue comme une fille par le Squire Gresham, et considéré comme une sœur par ses filles.

Mais son fils, le jeune Frank Gresham nourrit pour la jeune fille des sentiments qui ne sont pas que fraternels, et que la jeune Miss lui retourne discrètement.

Les Greshams sont ruinés et Mary est pauvre. Frank doit faire un beau mariage pour restaurer la gloire de la famille. Et les Greshams sont de noble famille, quand Mary n’est qu’une bâtarde, fruit de l’union malheureuse entre le frère du Dr Thorne et une pauvre fille.

Seul le Dr. Thorne sait qu’une fortune incommensurable attend peut-être Mary. Mais il se tait, voulant qu’elle n’épouse qu’un homme qui l’aimera envers et contre tout, qui la prendra pauvre et bâtarde.

Frank est il cet homme ? Résistera-t-il aux pressions de sa mère, de ses sœurs, de sa tante la prestigieuse Duchesse de Courcy ? A l’angoisse financière qui étreint son père ?

Sir Omicron came, and Drs Fillgrave and Century were there to meet him. When they all assembled in Lady Arabella’s room, the poor woman’s heart sank within her – as well it might, with such a sight.

Comme tous les romans de Trollope, Dr. Thorne est un petit régal. Prenant prétexte de cette histoire d’amour sans grand suspense, il dresse un portrait de la gentility de province, entre docteur, pasteur, squire, aristocratie et ces nouveaux nobles, enrichis par l’industrie et le commerce, mais loin d’être acceptés comme tels par leurs voisins. S’amusant des ridicules des uns et des autres, on ressent malgré tout une vraie tendresse pour ces êtres, à commencer par le Dr. Thorne, un homme fort en gueule et en amour, droit et honnête. Malgré l’histoire d’amour qui se déroule en filigrane, c’est lui le héros du roman, double de l’auteur qui comme lui, a toute les cartes en mains, mais laisse se dérouler l’action sans intervenir.

Il y a aussi beaucoup d’humour dans ce roman : est-ce le cadre (la campagne anglaise) ? Le milieu (la petite bourgeoisie et aristocratie) ? L’histoire d’amour perturbée par les questions financières ? Ou l’esprit incisif et mordant ? Mais ce roman m’a énormément rappelé ceux de Jane Austen – le côté pavé mis à part. On aurait pu les trouver sous la plume de Jane Austen, ces de Courcy et leur mantra « Rank has its responsabilities, as well as privileges. » ; Les hautaines Lady Gresham et sa fille ; ou Mr Moffat le coureur de fortunes. Mais peut-être que le pinceau de Jane Austen aurait été moins abrupt, plus mesuré pour peindre les baronets Scatcherd, ces nouveaux riches dévorés par l’alcool.

Bref, vous vous en doutez, c’est un roman que j’ai adoré et dont je conseille vivement la lecture.

Lu dans le cadre du challenge whoopsy-daisien Dans l’ombre de la Reine Victoria

Past Imperfect de Julian Fellowes

9780753825419Le narrateur a eu 20 ans à la fin des années 70. Mais pour lui, pas de swinging sixties, de drogues ou de rock and roll. Non, c’est la valse (et les danses écossaises) qu’il danse, c’est du champagne qu’il boit et il vit comme un jeune premier de l’époque edwardienne. Car c’est sa Saison, vous comprenez, celle où il fait le cavalier des jeunes filles de très bonne famille qui Sortent dans le monde pour la première fois. Bal de Queen Charlotte, bal de présentations, journées aux courses : on ne chôme pas dans ce beau monde.

A Cambridge où il étudie (quand il en trouve le temps), il côtoie Damian Baxter qui s’introduit peu à peu dans ce beau monde alors qu’il n’y a aucun droit. Quelle honte ! Vous imaginez ? Un moins que rien qui vient séduire nos belles dames ! Et elles sont séduites par cet aventurier, bel homme, et qui a le charme de l’inconnu.

Mais un événement vient bouleverser tout ça et briser le groupe des ‘debs’. Le narrateur et Damian se fâche et ne se revoient plus. Jusqu’à quarante ans plus tard, quand le narrateur reçoit une lettre de Damian lui demandant un service : richissime, mourant, sans héritier, Damian se demande s’il n’a pas eu un enfant d’une des debs. Donnant une liste de mères potentielles au narrateur, il l’oblige à retourner dans ses souvenirs en visitant ces femmes qu’il a connu en fleur et qu’il retrouve femmes de 60 ans, mariées, divorcées, loin du bel avenir qui leur était promis. Car le monde a changé dans les années 70 et l’aristocratie anglaise a perdu de son lustre dans le mouvement des années hippies. Quel regret pour Julian Fellowes !

C’est un livre qui m’a plu par certains aspects, mais qui m’a aussi passablement agacée. Déjà, Julian Fellowes est un indécrottable conservateur et ses lamentations en mode « c’était mieux avant » ; « les jeunes de maintenant, c’est plus ce que c’était » ; « tout va de travers, rien ni personne ne rachète l’effondrement de la société » m’ont exaspérée. C’est un aspect qui m’avait déjà agacée dans Snobs, mais qui me semble poussé à son paroxysme par la structure même du récit (un vieux con retraverse ses souvenirs de jeunesse). La première fois, on sourit. La seconde, on râle un peu. La vingtième, c’est juste insupportable.

« But how long can a sane person contemplate failure without admitting it ? At what point optimism become delusion ? »

Oui oui, il parle de notre époque …

J’ai été aussi un peu déçue par l’histoire : la fin (l’héritier ou en tout cas, celle qui l’a conçu) est assez évident. Les « drames dont on reparle pendant 40 ans et qui font que plus personne ne se reparle, ouh la la, mes aïeux ! » sont assez communs quand on a le mot de la fin : tout ça pour ça ? Une petite engueulade des familles avec quelques mots un peu durs ?

Il n’en faut pas beaucoup pour les choquer !

Ceci dit, le style est magnifique. S’inspirant fortement Evelyn Waugh, Julian Fellowes parvient à recréer cette ambiance fin de siècle, les bals fastueux, la naïveté de la jeunesse ou les délusions de l’âge. C’est beau. Il y a une très belle poésie qui se dégage de certains passages : les images qu’ils ont créés sont gravés sur ma rétine.

Alors oui, malgré le côté vieux con de Fellowes, la banalité de l’histoire, ça vaut le coup de le lire !

La vie rêvée d’Ernesto G. de Jean-Michel Guenassia

9782226242952gPas d’Ernesto G. dans les trois premiers quarts du roman : on suit Joseph Kaplan, un juif praguois, descendant d’une lignée de médecins de père en fils, de sa naissance en 1910 à son anniversaire de 100 ans, en 2010. Joseph traverse le siècle, vit la première guerre mondiale, la grippe espagnole, est à Paris pendant les années 30, devient médecin pour l’Institut Pasteur d’Alger pendant les années 40, rentre en Tchécoslovaquie au début du communisme et voit la dictature s’installer. Jusqu’au jour où on lui demande de soigner un patient très particulier.

C’est un gros pavé que j’ai adoré et dévoré. Difficile de lever les yeux de la vie de cet homme, dont la vie envoûtante traverse le siècle comme une étoile. Sans misérabilisme (difficile pari quand on raconte l’histoire du XXème siècle !), le roman nous fait vivre par la lorgnette certains des événements les plus importants du siècle. La galerie de personnages est très agréable, car Joseph sait s’entourer d’amis sûrs et intelligents.
Et le style est un régal. Simple et efficace, il fait naître des images fortes et puissantes : on sent les odeurs d’Alger, les épices et la mer ; on voit les geôles communistes ou le Paris insouciant se dresser devant nous.
Un très beau coup de maître !

De 2014 à 2015

Je découvre cette année avec beaucoup de plaisir les statistiques des lutins statisticiens de WordPress.com. Bien sûr, un blog endormi d’à peine quelques semaines ne peut briller dans ces statistiques, mais j’éprouve déjà un certain plaisir à découvrir comment cet espace tout neuf accueille déjà quelques convives…

Cliquez ici pour voir le rapport complet.

Reste à savoir ce qu’il va devenir en 2015. Les autres années, j’avais pris l’habitude d’écrire des résolutions de lecture sur mon ancien blog. A les relire en cette veille de 2015, je me demande vraiment comment je faisais pour tenir toute cette activité bloguesque ! Et en regardant l’année écoulée, je me dis que tenir des résolutions formerait un défi trop difficile à réaliser.

Mais sans aller jusqu’au stade des résolutions, voici quelques voeux pour l’année 2015 :

1. Retrouver le temps et l’énergie de lire

Avec un petit enfant qui devient de plus en plus autonome, je découvre pendant ces vacances qu’il est possible de lire pendant que le bébé joue autour de moi, tranquillement. Il ne s’agit plus de l’occuper non stop en faisant les tâches ménagères dès qu’elle dort, mais peut-être de retrouver un peu de loisirs. Qui dit mieux ?

2. Redécouvrir la blogosphère littéraire

Pendant les quelques mois, allez, disons les 2 ans, où je me suis éloignée, j’ai l’impression que beaucoup de choses ont changées dans la blogosphère littéraire. Des blogs que je suivais avec plaisir ont fermé, une foultitude de nouveaux se sont ouverts et je n’y ai pas encore trouvé chaussure à mon pied (ie qui lit plus de classiques que de modernes, plus d’anglo-saxons que de français et qui ne rechigne pas à de la fantasy de bonne qualité, tout en évitant les vampires). A moi donc de retrouver mon nid au milieu de ce paysage qui a bien changé, sans oublier les amis de toujours.

3. Écrire sur les films et les séries que je vois

Et oui, ce blog s’appelle « Des pages et des bobines » et il ne faudrait pas les oublier, ces petites ! J’ai beaucoup plus de mal à parler de ce que je vois que de ce que je lis et cela commence à se ressentir sur le blog. Certes, nous n’allons plus aussi souvent au cinéma, mais nous avons des DVD, bientôt un abonnement à Netflix : cela devrait aider, non ?

4. Continuer à me laisser tenter par les conseils de Whoopsy-daisy.

Grâce à ce forum, j’ai découvert cette année Stella Gibbons, des adaptations de Jane Austen comme The Highbury Murders, ou la série des Agatha Raisin de MC Beaton. Il me reste encore plein de nouveaux auteurs à tester et je compte bien continuer !

Peu de résolutions pour cette année, mais après le fiasco que fut l’année prochaine … je préfère rester prudente !