Alias Grace, de Margaret Atwood

 

When I close my eyes I can remember every detail of that house as clear as a picture – the verandah with the flowers, the windows and the white pillars, in the bright sunlight – and I could walk every room of it blindfolded, though at that moment I had no particular feeling about it and only wanted a drink of water. It is strange to reflect that of all the people in that house, I was the only one of them left alive in six months’ time.

AliasGraceLe 23 juillet 1843, Mr Kinnear, un propriétaire terrien de la région de Toronto, et son intendante et maîtresse, Nancy Montgomery, sont assassinés. Les coupables sont rapidement arrêtés : l’homme à tout faire de la propriété, James Mc Dermott, et la bonne, Grace Marks, 16 ans, ont fuit avec les biens les plus précieux de la maison, Grace allant même jusqu’à porter les vêtements de Nancy.

McDermott est condamné à mort, et rapidement exécuté, tandis que la peine de Grace est commuée en prison à vie. Mais Grace est elle réellement coupable ? Qu’a-t-elle fait ? Et qui est elle ?

Une jeune fille naïve aux mauvaises fréquentations ? Une simple d’esprit ? Une femme rouée, une manipulatrice ayant poussé McDermott à commettre les meurtres ? Au fil de son récit et des lettres échangées, la question devient plus pressante : que nous dit-elle et que nous dit-elle pas ? qu’invente-t-elle, consciemment ou inconsciemment ? Nous dit-elle la vérité, ou l’histoire que nous voulons entendre ?

Now that I come to think of it, you were as eager as Mr Walsh is to hear about my sufferings and my hardships in life; and not only that, but you would write them down as well. I could tell when your interest was slacking, as your gaze would wander; but it gave me joy every time I managed to come up with something that would interest you.

Comme souvent avec Margaret Atwood, nous nous trouvons face à un immense roman féministe. Immense roman, car elle explore un des aspects à mon sens les plus importants de la littérature, et de toute forme de communication en règle générale : qui parle ? Comme dans Lolita, ou d’autres romans écrits d’un point de vue, il est nécessaire de lire entre les lignes, d’user de son imagination pour explorer les non-dits du récit. C’est cette interconnexion entre le récit et le lecteur qui, in fine, crée l’histoire.

Et cette question devient encore plus flagrante quand Atwood nous donne accès aux lettres écrites par les différents protagonistes : dit-on la même chose à sa mère et à son meilleur ami ? A la femme qu’on aime et à la femme qu’on quitte ?

Je suis certaine de relire ce roman, dans 10 ou 15 ans, et d’y lire une autre histoire, d’y trouver une autre Grace, transfigurée par les événements de ma propre vie (1).

Et un immense roman féministe, car l’autre question qu’explore Atwood est celle de la place des femmes dans cette société. Car si Grace est peut-être coupable, toutes les femmes sont d’abord victimes, et victimes des hommes. En regard du meurtre de Kinnear, est déposée toute une série de violences, sexuelles pour la plupart, dont les hommes, tous les hommes, sont coupables, et dont jamais ils n’assument les conséquences. De la bonne qui meurt d’avorter de l’enfant que lui a fait le fils de la maison, à l’épouse convenable quittée par son mari puis par son amant, en passant par la jeune fille de bonne famille dont toute la gaieté et la joie de vivre s’éteignent sitôt mariée, il n’y a pas une femme qui échappe à cette loi. Et il n’y qu’un homme, le vagabond Jeremiah, qui semble s’exonérer de ces crimes commis tantôt par l’ex-soldat soudard, tantôt par l’avocat bien sous tous rapports, tantôt par le gentil médecin. Car, comme le dit la mère de Simon Jordan :

Men, by nature and the decree of Providence, have a certain latitude allowed them ; but fidelity to the marriage vow is surely a chief requirement in a woman.

Et le dernier point qui transforme cette lecture passionnante en plaisir : l’écriture de Margaret Atwood, sensuelle : on voit les pâquerettes, on sent l’humidité de la cave, la rugosité de la chemise de nuit de la prison, ou l’épaisseur moite des nuits d’amour.

 

(1) Aujourd’hui, si vous voulez mon avis, Grace est une immense manipulatrice, une femme d’une intelligence redoutable, et qui cache magnifiquement son jeu. Une actrice de première catégorie.